31Tenture qalamkari illustrant le Jugement dernier(Qalamkari hanging depicting the Last Judgement)

Iran, Esfahan, ca. 1930 Block-printed and painted cotton panel 111.4 in. × 142.5 in. (283 cm × 362 cm) Musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris, 70.2019.5.2 Photograph ©︎ musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Pauline Guyon
L’art du textile qalamkari (قلمکاری) s’observe principalement en Iran et en Inde. Il s’agit d’une toile de coton combinant plusieurs techniques : la peinture à la main et l’impression au bloc de bois. Aux motifs floraux déployés en bandes sur les bordures, peuvent être associées des scènes mythologiques ou religieuses, comme cela est le cas ici. Evoquant le Jour du Jugement selon les croyances chiites, cette pièce fait allusion à la tragédie de Karbala en Irak, survenue en 680. En Iran, l’histoire des figures saintes, contées tout au long de l’année, présente une ferveur plus dramatique encore pendant l’Ashura, commémorant chaque année le martyre d’Hosayn, petit-fils du prophète Mohammad, à Karbala. Ce type de décor religieux, rare sur les qalamkari conservés en Europe, offre à voir une iconographie emblématique du chiisme dans la première moitié du 20e siècle.
La représentation rappelle les grandes toiles peintes du 19e siècle ou du début du 20e siècle qui étaient utilisées par des conteurs (نقال, naqqal) pour narrer l’histoire du martyre d’Hosayn. Les mises en scène, qui relevaient à la fois du divertissement et de la transmission culturelle, se faisaient dans des coins de rue ou dans des cafés traditionnels, nommés qahveh-khaneh (قهوه خانه) (voir no. 45). Ces lieux populaires, où se croisait une clientèle citadine très diverse comprenant lettrés et artistes, ont permis le développement en Iran de la peinture sur toile de grand format. L’artisan qui a réalisé ce textile qalamkari s’est probablement inspiré des peintures de qahveh-khaneh. L’une d’entre elles, attribuée au peintre Mohammad Modabber (1890–1966), aujourd’hui conservée au musée Reza Abbasi à Téhéran (carte), présente des similarités frappantes avec cette tenture (Sayf 1989, p. 30).
Ce qalamkari se divise en groupe de figures de différentes tailles et couleurs, suggérant un récit narratif (fig. 1). Dans le coin inférieur gauche, des personnages drapés d’un linceul blanc font face à un ange ailé (fig. 2). Ce dernier tient une balance, mesurant les bonnes actions d’un côté et les mauvaises de l’autre. La scène à droite montre, sur un fond rouge strié de flammes, six personnages richement vêtus avançant, une corde au cou, vers un homme tenant une massue. Parmi eux se trouvent le gouverneur qui a lancé l’offensive de Karbala contre les troupes d’Hosayn, mais aussi son assassin, son bourreau, le meurtrier de son fils ʿAli Asghar et le juge à l’origine du drame. Tous sont nommés à l’encre noire. Derrière eux, une créature symbolise les portes de l’enfer, engloutissant les damnés brûlés vifs qui, pour certains, attendent encore leur tour.


Au centre de la tenture, à gauche, d’autres martyres décapités tiennent leur tête dans les mains. S’ensuit une foule de personnages drapés de blanc, qui se dirigent vers un pavillon à deux étages, symbolisant le paradis (fig. 3). De grandes figures nimbées surmontent la scène, ce sont les saints. L’un d’entre eux, peut-être l’Emam ʿAli, se tient debout sur un minbar (voir fig. 3). A sa gauche, une autre figure sainte du chiisme porte une bannière sur laquelle est inscrit le premier verset de la sourate du Secours Divin, An-Nasr (110 :1), énonçant « Quand le secours d’Allah vient avec la victoire ». Dans le coin supérieur gauche, Fatemeh, la fille du prophète Mohammad et épouse de ʿAli, est représentée assise sur un chameau, le visage couvert d’un voile. Elle est entourée d’anges, dont Esrafil, qui souffle dans la trompette pour annoncer le Jour du Jugement.

Un autre textile présentant une représentation similaire est aujourd’hui conservé au Wereldmuseum à Amsterdam (fig. 4). L’Emam ʿAli y est reconnaissable à son épée. A ses côtés, son fils Hosayn porte la lance avec laquelle il a combattu à Karbala. Des inscriptions en persan entourent la scène, elles font référence au martyre d’Hosayn. Cette tenture en particulier était roulée et transportée par les conteurs qui s’en servaient pour illustrer leurs histoires (Shatanawi 2014, p. 168–69). Le textile du musée du quai Branly – Jacques Chirac offre quant à lui une qualité technique un peu plus aboutie, par l’utilisation de couleurs vives, où se démarque un doré vibrant illuminant les halos des personnages saints et les murs du pavillon. L’état de conservation exceptionnel nous indique que l’objet a été peu roulé et transporté, se destinant peut-être simplement à une fonction décorative.

La tenture exposée à Paris a été acquise par le musée en 2019, tout comme un autre qalamkari montrant une Vierge à l’enfant (70.2019.5.1). Les deux textiles sont en ce moment présentés dans les galeries permanentes du musée, aux côtés d’autres pièces, dont un qalamkari illustrant un thème mythologique grec (70.2021.51.1). Certaines proviennent des anciennes collections du musée de l’Homme à Paris. Au total, sept tentures iraniennes sont présentées dans une même salle avec, au sol, un dispositif de médiation très apprécié du public, expliquant la technique de fabrication des qalamkari propre à l’Iran et notamment à la région d’Esfahan (fig. 5, vid. 1).

Vidéo 1. La salle aux qalamkari du musée avec, au sol, un dispositif multimédia sur la fabrication des qalamkari. Vidéo par Keelan Overton, musée du quai Branly – Jacques Chirac, juin 2024.
Sources:
- Sayf, Hadi. Naqqāshī-ye Qahvehkhāneh. Tehran: Sorush Press, 1990. [Lib.ir]
- Shatanawi, Mirjam. Islam at the Tropenmuseum. Arnhem: LM Publishers, 2014.
- Les objets de la collection peuvent être consultés en ligne : https://collections.quaibranly.fr.
Citation: Sarah Piram, “Tenture qalamkari illustrant le Jugement dernier.” Catalog entry in The Emamzadeh Yahya at Varamin: An Online Exhibition of an Iranian Shrine, directed and edited by Keelan Overton. 33 Arches Productions, January 15, 2025. Host: Khamseen: Islamic Art History Online.